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Négociations concernant le libre échange entre le Canada et la Colombie
TORONTO – Le Comité permanent de la Chambre des communes sur les Affaires étrangères et le commerce international est en train de tenir des audiences avec des représentants de l’industrie pour discuter des négociations en cours sur le libre-échange entre le Canada et la Colombie.
Sandra Marsden, présidente de l’Institut canadien du sucre, devait faire une présentation au comité le 5 mai 2008 pour lui expliquer le point de vue de l’industrie canadienne du sucre au sujet d libre-échange. Même si l’audience a été annulée, Mme Marsden a pu remettre un document écrit résumant les points à faire valoir avant la réunion.
LE POINT DE VUE DE L’INSTITUT CANADIEN DU SUCRE SUR LES NÉGOCIATIONS DE LIBRE ÉCHANGE ENTRE LE CANADA ET LA COLOMBIE
Mémoire au
Comité permanent du commerce international
5 mai 2008
L’Institut canadien du sucre est l’association commerciale nationale qui représente les producteurs de sucre raffiné du Canada Lantic Sugar, Redpath Sugar et Rogers Sugar. C’est une industrie à valeur ajoutée dont l’implantation au Canada remonte avant la Confédération. Elle produit plus de 1,3 million de tonnes de sucre raffiné dans des usines de raffinage capitalistiques situées dans les grands ports et près des cultures de betteraves à sucre de l’Alberta.
L’industrie canadienne du sucre entretient de sérieuses réserves au sujet des négociations commerciales avec la Colombie et elle a déjà comparu devant le Comité du commerce international à maintes reprises au sujet de négociations analogues avec le Costa Rica et les quatre pays de l’Amérique centrale. Son message est le même : ces accords menacent plus notre industrie qu’elles ne l’avantagent.
Le sucre est un des secteurs les plus politisés et les plus subventionnés qui soient dans le monde. À quelques exceptions près, presque tous les gouvernements interviennent dans leur secteur du sucre pour maintenir les prix au dessus des cours internationaux, protéger les producteurs contre la concurrence des importations, en particulier celle du sucre raffiné à valeur ajoutée, et de nombreux pays y ajoutent des subventions et d’autres incitatifs à l’exportation. Au Canada, les producteurs de betteraves à sucre et les entreprises de transformation et de raffinage du sucre de canne évoluent sur le marché mondial sans subventions ni barrières tarifaires prohibitives. Nous avons dû nous ajuster péniblement aux distorsions de l’économie régionale et mondiale du sucre par des mesures de rationalisation et des fermetures d’usines. Nos activités se résument maintenant à trois entreprises de raffinage et une usine de transformation de la betterave à sucre, sans marge de manœuvre pour faire face à d’autres distorsions sur notre marché.
La seule demande que nous avons en prévision d’une libéralisation multilatérale (OMC) du commerce du sucre est que le gouvernement canadien protège le petit droit de douane sur le sucre raffiné qui aide à absorber les effets des distorsions régionales et mondiales. Le Canada donne déjà l’exemple d’un marché ouvert en n’appliquant aucun droit de douane sur les importations de sucre brutes provenant des économies en développement comme la Colombie, et un droit de douane de 36,86 $ la tonne, soit environ 8 %, sur le sucre raffiné. Ce droit de douane de 8 % est extrêmement bas comparativement aux autres droits de douane de la région ceux des États Unis et du Mexique se situent à environ 150 % et la Colombie en applique un de 20 % ou plus sur toutes les importations de sucre.
Nous avons défendu énergiquement la libéralisation du commerce du sucre en tant que membres de l’Alliance mondiale du sucre. Ce travail se fait principalement dans le cadre des négociations multilatérales car celles ci représentent la seule véritable occasion de réformer le commerce du sucre en profondeur. Les accords commerciaux bilatéraux ont une portée beaucoup plus limitée. Ils visent à donner aux parties des gains réciproques d’accès au marché sans pour autant toucher les subventions nationales et les incitatifs à l’exportation. Voilà qui risque d’amplifier l’injustice dans notre secteur car il ne nous sera pas possible de contrer d’autres avancées dans notre marché par de nouvelles réductions de coûts ou par des exportations significatives.
Notre marché d’exportation logique est les États Unis, mais nous sommes limités à un quota de 10 300 tonnes, soit à peine 0,1 % du marché de 10 millions de tonnes de ce pays. Il n’existe pas de possibilité d’accroître ce quota avant la libéralisation commerciale à l’OMC. Même les règles envisagées pour les « produits sensibles » dans le cycle de négociation de Doha limiteront considérablement notre potentiel d’accroissement des exportations vers les États Unis et d’autres pays.
Dans le contexte de la Colombie, il est logique que les négociateurs canadiens visent à atteindre la réciprocité en matière d’accès au marché du sucre tonne pour tonne. Le problème est que nous ne bénéficions pas de règles du jeu égales. L’accès de la Colombie au Canada est facilité par un crédit subventionné à la production et par des programmes gouvernementaux qui soutiennent les exportations. Les exportateurs colombiens peuvent également bénéficier de l’aide d’un fonds de stabilisation des prix. Au Canada, les producteurs et exportateurs ne bénéficient pas de tels appuis.
La Colombie exporte déjà passablement de sucre raffiné au Canada. Elle n’a pas besoin d’un autre incitatif de 30 $ la tonne pour être concurrentielle au Canada. Ses ventes au Canada ne sont qu’une fraction de ses exportations totales, qui s’élèvent à plus d’un million de tonnes. Toutes les exportations sont acheminées par la CIAMSA, le seul mécanisme de commercialisation internationale du sucre colombien, qui réglemente aussi le marché interne.
Selon la CIAMSA, l’industrie sucrière de la Colombie se situe parmi les quatre plus efficaces au monde, y compris la production de betteraves à sucre. Ce résultat traduit les « conditions privilégiées » qui règnent dans la vallée de la rivière Cauca, dans le sud ouest du pays, où les conditions climatiques permettent de récolter et transformer la canne à sucre toute l’année. La CIAMSA ajoute : « Par conséquent, les frais fixes d’investissement dans l’usine, le matériel sur le terrain et les actifs par tonne de canne à sucre produite équivalent à la moitié et même au tiers des coûts qui existent en moyenne dans les autres zones de canne à sucre de la planète. »
Cette combinaison de gains d’efficacité, de commercialisation regroupée et d’exportations élevées ainsi que l’aide financière du gouvernement créent un avantage concurrentiel pour les producteurs colombiens, tant chez eux que dans la plupart des marchés d’exportation. Les marchés les plus logiques pour le sucre raffiné de la Colombie sont les autres pays d’Amérique latine. Le marché américain, vaste et développé, est également un débouché intéressant pour la production de sucre raffiné bien que la Colombie soit limitée à un petit quota de sucre brut et raffiné et que les dépassements du quota fassent l’objet d’un droit de douane prohibitif de 150 %. L’accord envisagé avec les États Unis offre à la Colombie la perspective d’une augmentation de 50 000 tonnes mais les chances d’une ratification à court terme sont minces. Même le dixième de ce volume d’exportation au Canada aurait une incidence désastreuse sur notre industrie et nos producteurs.
Contrairement aux restrictions imposées par le quota sur le marché américain, la Colombie bénéficie déjà d’un accès illimité au marché canadien du sucre brut, ce qui avantage autant les producteurs de sucre raffiné de la Colombie que du Canada. La Colombie jouit également du plein accès au marché canadien du sucre raffiné moyennant le petit droit de douane seulement. Un autre incitatif de 30 $ la tonne, même appliqué à un petit volume, permettrait à la Colombie de cibler plus activement le marché canadien au grand détriment de notre industrie. Ces chiffres sont tous bien documentés.
Les importations en provenance de la Colombie et d’autres fournisseurs plus éloignés ont tendance à cibler le petit marché plus lucratif du détail et de la petite industrie qui, au Canada, ne fait que 150 000 tonnes. Des petites pertes de volume sur ce marché représentent un impact important sur notre rentabilité globale. L’Accord de libre-échange avec le Costa Rica le démontre bien. Cet accord a fourni au Costa Rica l’incitatif économique nécessaire pour s’établir sur le marché canadien, en commençant par la Colombie Britannique puis en prenant de l’expansion vers les provinces de l’Est. Bien que les importations aient atteint seulement 5 500 tonnes, Rogers Sugar a déclaré avoir perdu plus de 5 millions de dollars en raison de cette nouvelle concurrence. Les producteurs canadiens de sucre raffiné n’ont pas réussi à pénétrer le marché costaricain en raison d’autres obstacles commerciaux.
Les études du gouvernement sur les répercussions économiques d’une entente analogue avec les quatre pays de l’Amérique centrale confirment aussi la menace pour notre industrie. Elles révèlent que les pertes dépasseraient les 30 millions de dollars à court et moyen terme et menaceraient la fermeture d’au moins une usine, probablement dans l’ouest canadien. La Colombie constitue une menace plus importante étant donné son investissement beaucoup plus important dans la production de sucre raffiné. Elle exporte environ 700 000 tonnes de sucre raffiné par année comparativement aux 300 000 provenant des pays de l’Amérique centrale.
Le droit de douane de 30 dollars la tonne n’empêche pas d’accéder au marché canadien du sucre raffiné. Depuis 2003, les exportations colombiennes se sont situées entre 4 500 et 17 000 tonnes pour une valeur se situant entre 2 et 8 millions de dollars et représentant jusqu’à 10 % du marché de détail du Canada. La Colombie est le deuxième plus sérieux concurrent au Canada après les États Unis. Elle est plus concurrentielle que le Costa Rica, qui bénéficie d’un quota en franchise de 6 000 tonnes.
L’industrie sucrière canadienne est efficace et concurrentielle dans le contexte nord américain et elle livre concurrence énergiquement aux importations de sucre raffiné. Nous dépendons du marché canadien en raison des débouchés extrêmement limités aux États Unis et sur les autres marchés d’exportation logiques. La Colombie n’est pas un marché d’exportation logique. Un nouvel accord bilatéral avec la Colombie ne créera pas de nouveaux débouchés d’exportation pour contrebalancer des importations plus concurrentielles en provenance de ce pays.
Nous exhortons le gouvernement canadien à maintenir en place le droit de douane du sucre raffiné, qui est très faible dans le contexte régional mais très important pour notre industrie. La menace pour notre industrie a été bien documentée. Cette menace se répercute aussi sur l’industrie alimentaire canadienne, notamment les confiseurs, qui se sont installés au Canada pour bénéficier du faible prix du sucre et qui dépendent de l’approvisionnement juste à temps de sucre raffiné de haute qualité de nos usines. Pour toutes ces raisons, nous pressons le gouvernement canadien de résister aux demandes visant à réduire le droit de douane et à ne pas signer d’accord contenant des dispositions qui compromettraient la viabilité d’un important secteur implanté depuis longtemps au Canada.